Vin unique…

Splendeurs et misères du vin unique
Aujourd’hui, la mode du vin unique connaît un nouvel essor. Une pratique redevenue courante en France, surtout pendant l’été que beaucoup n’imaginent pas sans rosé glacé.
Par Jean-Robert Pitte


Pendant des millénaires, les repas des peuples œnophiles ont été humectés d’un seul type de vin, comme c’est encore le cas dans les tavernes des pays méditerranéens ou caucasiens. Le plus souvent, il s’agit du vin produit dans les environs, mais l’élite s’approvisionne parfois bien plus loin, voire au-delà des mers. Ainsi, les Gaulois indépendants consommaient des vins italiens ou espagnols et, à partir du Moyen Âge, les Anglais buvaient déjà beaucoup de claret de Bordeaux.

Les rois de France buvaient en général un seul vin, variant souvent et provenant du Bassin parisien, de la Loire ou de Bourgogne, mais rarement de plus loin. À partir de la Régence, c’est le champagne mousseux qui devient à la mode à la cour et arrose les banquets, comme l’illustrent les deux sublimes peintures commandées par Louis XV, Le Déjeuner d’huîtres et Le Déjeuner de jambon, conservées à Chantilly.

UN VIN ADAPTÉ À CHAQUE PLAT
Au XIXe siècle, s’estompe le service “à la française” au profit du service dit “à la russe”, lequel prévoit une succession de plats servis un à un. Les intendants de grandes maisons et les restaurateurs proposent alors d’accompagner chaque plat d’un vin adapté. Brillat-Savarin en a été le théoricien : « Prétendre qu’il ne faut pas changer de vin est une hérésie ; la langue se sature ; et après le troisième verre, le meilleur vin n’éveille plus qu’une sensation obtuse ».

Aujourd’hui, la mode du vin unique connaît un nouvel essor. Une pratique redevenue courante en France, surtout pendant l’été que beaucoup n’imaginent pas sans rosé glacé. Dans nos repas, la modération est de plus en plus de rigueur, conduite automobile oblige. Un vin de Loire, un bordeaux ou un beaujolais accompagne ainsi tout le repas, en moindre quantité que l’eau minérale. C’est dommage, car on peut servir sans risque d’excès trois ou quatre verres à moitié remplis de vins variés afin d’accompagner au mieux chaque plat.

DÎNER DES TROIS EMPEREURS
Si l’on tient à un vin unique, on peut néanmoins ravir les convives en accompagnant les repas de divers millésimes ou cuvées d’une même appellation, voire du même domaine, comme tous les vignerons aiment à le faire. Ainsi, une récente adaptation imaginée par le propriétaire de La Tour d’Argent, André Terrail, du dîner des Trois Empereurs, servi en 1867 par Claudius Burdel et Adolphe Dugléré au Café anglais, n’a été escortée que de champagne, mais de manière éclatante par cinq des plus belles cuvées de la maison Roederer.

Le vinificateur Richard Geoffroy, lui, est passé maître dans l’art de commander aux chefs des restaurants qu’il fréquente un menu mettant en valeur divers millésimes de ses Dom Pérignon chéris, en particulier de ses cuvées Plénitude (P2) si profondes et vineuses du fait de leur noble naissance et de leur vieillissement prolongé.

Enfin, j’ai le vif souvenir d’un beau dîner classique préparé par le chef Thierry Marx pour sublimer huit grands portos et de l’alliance fusionnelle entre une canette de Barbarie laquée sauce bigarade et un tawny 20 ans d’âge de Graham’s. Naturellement, à l’anglaise, le bleu d’Auvergne suivait le Biscuit Sacher.

Jean-Robert Pitte est professeur de géographie à la Sorbonne, membre de l’Institut et préside l’Académie du Vin de France. Il a publié L’amour du vin (CNRS Éditions, 2013), La bouteille de vin, histoire d’une révolution (Tallandier, 2013) et Dictionnaire amoureux de la Bourgogne (Plon, 2014).

Sources : www.larvf.com

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